Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Belgicana

Belgicana

Collection privée d'un amateur de livres et autographes d'écrivains belges (XIXe-XXe siècles)

Maurice Maeterlinck, "En Sicile et en Calabre". Édition originale sur japon impérial.

Chose promise sur la page Facebook, chose due! Je reviens vers vous pour vous parler de ma dernière acquisition belge qui exhale un doux parfum d'Italie et va nous conduire en automobile (une Renault 20 HP du début du XXe siècle!) sur les routes de Sicile et de Calabre, dans les années 1920, en compagnie du somptueux auteur de Pelléas et Mélisande et de L'Oiseau bleu, Maurice Maeterlinck (1862-1949)... le tout sur papier Japon Impérial, ce qui ne manquera pas d'adoucir au toucher la colère et la déception de notre guide. 

Maurice Maeterlinck, "En Sicile et en Calabre", Paris, S. Kra, 1927, 77 p. Couverture rempliée à grandes marges pour les deux tirages de tête sur papier du Japon Impérial et Hollande Pannekoek

Maurice Maeterlinck, "En Sicile et en Calabre", Paris, S. Kra, 1927, 77 p. Couverture rempliée à grandes marges pour les deux tirages de tête sur papier du Japon Impérial et Hollande Pannekoek

"En Sicile et en Calabre" retrace le voyage pour le moins mouvementé que fit Maurice Maeterlinck dans le sud de l'Italie, au printemps 1924, en automobile, avec son épouse Renée Dahon et un ami, et dont le ton polémique faillit bien créer un incident diplomatique si l'on en croit la presse de l'époque. Nous y reviendrons. 

L'ouvrage a été publié chez Kra, dans la collection "Voyages" dont il constitue le premier numéro, en 1927, soit 3 ans après l'excursion et la parution du texte dans plusieurs revues.

Il a été tiré à 50 exemplaires sur papier de Hollande Pannekoek, numérotés de 1 à 50, et 950 exemplaires sur Vélin Outhenin-Chalandre numérotés de 51 à 1000, le tout constituant l'édition originale. Il a en outre été tiré à part, spécialement pour la société "Les Bibliophiles du Nord", 15 exemplaires sur Japon Impérial numérotés de I à XV. 

Dans son tirage de luxe, sur papier Japon Impérial ou Hollande Pannekoek, le livre présente une double couverture : une grande couverture rempliée avec ses larges marges sur laquelle est apposée en tête, sous le titre de la collection "voyages", la marque du navire à trois mâts (voir illustration ci-dessus), et une plus petite couverture en couleurs représentant une carte du monde avec les marques du navire à trois mâts et de la boussole. Cette petite couverture en couleur constitue l'unique couverture de tous les exemplaires de l'édition courante sur Vélin Outhenin-Chalandre. 

 

 

Maurice Maeterlinck, "En Sicile et en Calabre". Édition originale sur japon impérial.
Première et quatrième de couverture des 1015 exemplaires de l'édition originale

Première et quatrième de couverture des 1015 exemplaires de l'édition originale

Nous connaissons au moins trois autres titres de la collection "voyages" qui se présentent, pour les tirages de tête sur grands papiers, sous la même forme que celui de Maeterlinck : 

- Alphonse de Chateaubriant, Voyages instantanés aux Pays-Bas, Paris, Kra, coll. "voyages", 1927, 75 p. 

- Joseph Kessel, En Syrie, Paris, Kra, coll. "voyages", 1927, 98 p. 

- Francis de Croisset, Aux Fêtes de Capurthala, Paris, Kra, coll. "voyages", 1927, 62 p. 

 

Deux titres de la collection "voyages", chez Kra, avec leur couverture rempliée à grandes marges

Deux titres de la collection "voyages", chez Kra, avec leur couverture rempliée à grandes marges

Trois titres de la collection "voyages", chez Kar, avec leur couverture planisphère

Trois titres de la collection "voyages", chez Kar, avec leur couverture planisphère

Publicité de l'éditeur KRA pour la collection "voyages" dans la revue "Plaisir de Bibliophile", en 1927

Publicité de l'éditeur KRA pour la collection "voyages" dans la revue "Plaisir de Bibliophile", en 1927

L'exemplaire dont j'ai fait l'acquisition, signé par l'auteur à l'encre bleue sur une page muette, est le n°IV du tirage de luxe sur papier Japon Impérial, spécialement pour la société "Les Bibliophiles du Nord". 

Signature manuscrite de Maeterlinck à l'encre bleue sur une page muette

Signature manuscrite de Maeterlinck à l'encre bleue sur une page muette

Justification du tirage de luxe sur papier Japon Impérial

Justification du tirage de luxe sur papier Japon Impérial

En Sicile et en Calabre a d'abord paru dans le premier numéro de la revue Demain, en avril 1924, sous le titre "Promenade en Sicile et en Calabre", avec 3 dessins du peintre, illustrateur et décorateur de théâtre français Maxime Dethomas (1867-1929), gravés par G. Gasperini, + 1 portrait de l'auteur. 

Couverture du 1er numéro de la revue "Demain" (avril 1924)

Couverture du 1er numéro de la revue "Demain" (avril 1924)

Maurice Maeterlinck, "En Sicile et en Calabre". Édition originale sur japon impérial.
Maurice Maeterlinck, "En Sicile et en Calabre". Édition originale sur japon impérial.
Maurice Maeterlinck, "En Sicile et en Calabre". Édition originale sur japon impérial.
Ensemble de dessins de Maxime Dethomas pour la parution du récit de voyage de Maeterlinck dans la revue "Demain"

Ensemble de dessins de Maxime Dethomas pour la parution du récit de voyage de Maeterlinck dans la revue "Demain"

Par ailleurs, non signalé par Arnaud Rykner dans sa précieuse bibliographie de Maeterlinck, aux édition Memini, le texte a aussi fait l'objet d'une parution en six livraisons dans la revue L'Égypte nouvelle, en 1924, avant sa parution en volume chez Kra. 

- Maurice Maeterlinck, "Promenade en Sicile et en Calabre" (I), in L'Égypte nouvelle, IIIe année, n°116, samedi 13 septembre 1924, p. 4-5. Version numérisée ICI

Cette 1ère livraison est précédée d'un avertissement de la revue quant à la nature polémique du texte. 

L'article que nous publions ci-après a retenti comme un coup de tonnerre dans le beau ciel sicilien. Beaucoup ont cru y trouver un aliment à leur nationalisme tapageur. Maurice Maeterlinck pourtant n'attaquait ni la patrie italienne ni l'idéal italien. Il exhalait le long des routes de Calabre et de Sicile une mauvaise humeur que la rapacité de l'hôtelier avait singulièrement renforcée. En s'obstinant à considérer comme un outrage au sol des notes de voyage où la politique n'avait rien à faire, l'esprit public a volontairement confondu les genres et égaré des susceptibilités toujours prêtes à se fourvoyer. Nous espérons que nos lecteurs du Caire ne tomberont pas dans le même piège et qu'ils considèreront qu'un aubergiste calabrais peut être le plus détestable des hôtes sans que pour cela le prestige du drapeau italien en soit le moins du monde atteint. C'est ce qu'il importait de préciser tout au début de ces pages admirables. — N.D.L.R. 

- Maurice Maeterlinck, "Promenade en Sicile et en Calabre" (II), in L'Égypte nouvelle, IIIe année, n°117, samedi 20 septembre 1924, p. 6-8. Version numérisée ICI

- Maurice Maeterlinck, "Promenade en Sicile et en Calabre" (III), in L'Égypte nouvelle, IIIe année, n°119, samedi 4 octobre 1924, p. 6-8. Version numérisée ICI

- Maurice Maeterlinck, "Promenade en Sicile et en Calabre" (IV), in L'Égypte nouvelle, IIIe année, n°122, samedi 25 octobre 1924, p. 9-10. Version numérisée ICI

- Maurice Maeterlinck, "Promenade en Sicile et en Calabre" (V), in L'Égypte nouvelle, IIIe année, n°127, samedi 29 novembre 1924, p. 6-7. Version numérisée ICI

- Maurice Maeterlinck, "Promenade en Sicile et en Calabre" (fin), in L'Égypte nouvelle, IIIe année, n°128, samedi 29 novembre 1924, p. 9-10. Version numérisée ICI

Signalons aussi que le revue a publié dans son numéro du 21 juin 1924, le texte "éloge de l'épée" extrait du recueil d'essais de Maeterlinck intitulé Le Double Jardin (Paris, Eugène Fasquelle, 1940, p. 67-80). 

 

Maurice Maeterlinck, "En Sicile et en Calabre". Édition originale sur japon impérial.
Maurice Maeterlinck, "En Sicile et en Calabre". Édition originale sur japon impérial.
Couvertures des 6 livraisons de la revue "L'Égypte nouvelle" dans lesquelles a été publié "En Sicile et en Calabre"

Couvertures des 6 livraisons de la revue "L'Égypte nouvelle" dans lesquelles a été publié "En Sicile et en Calabre"

Enfin, le texte a été repris en 1932, amputé de sa dernière page, dans un recueil de Maeterlinck intitulé L'Araignée de verre (Paris, Eugène Fasquelle, 1932, 222 p.), — dont je possède un exemplaire sur vélin bibliophile avec un envoi à l'écrivain français Alberic Cahuet —, sous le titre "Sicelides Musae" (p. 79-117), dans lequel il suit un essai sur la vie des araignées (p.7-77) et précède le récit d'un voyage en Égypte sous le titre "Le Royaume des morts" (p. 129-222). 

Maurice Maeterlinck, "L'Araignée de verre", Paris, Fasquelle, 1932, 222 p. Exemplaire sur vélin bibliophile avec un envoi de Maeterlinck au journaliste Alberic Cahuet.

Maurice Maeterlinck, "L'Araignée de verre", Paris, Fasquelle, 1932, 222 p. Exemplaire sur vélin bibliophile avec un envoi de Maeterlinck au journaliste Alberic Cahuet.

Le récit de voyage de Maeterlinck en Sicile et en Calabre suit le cours de l'expédition et prend la forme d'un carnet dans lequel l'auteur consigne ses impressions touristiques au fur et à mesure. Comme nombre de ses contemporains, et au premier chef du regretté Eugène Demolder dont il avait apprécié L'Espagne en auto (Paris, Mercure de France, 1906), Maeterlinck fait le voyage en automobile, à bord d'une Renault 20 HP.  

Maurice Maeterlinck, "En Sicile et en Calabre". Édition originale sur japon impérial.

L'automobile a toujours été un objet de fascination pour Maeterlinck. Dans un chapitre du recueil Le Double Jardin (Paris, Fasquelle, 1904) intitulé "en automobile", l'écrivain dissèque le moteur de "la bête merveilleuse". L'examen mécanique laisse place à une évocation poétique de la machine, tantôt désignée comme "le monstre", "l'animal inconnu", "l'hippogriffe suspect", "la force mystérieuse", "la masse incomprise", "le cheval féérique", puis à une réflexion sur l'espace, le temps et la vitesse. 

Sur les routes chaotiques de Sicile et de Calabre, "fort mauvaises", "presque impraticables", c'est plutôt le désenchantement du voyageur qui se fait entendre quant au bolide plusieurs fois avarié : carter brisé suite au choc avec une énorme pierre, crevaisons à répétition, rupture de la chaîne de magnéto. Pannes et haltes attirent les curieux qui s'amassent autour du véhicule, ce qui ne manque pas d'agacer profondément Maeterlinck dont on ne retrouve pas ici la sympathie qu'on lui connait pour les humbles : 

L'auto vient à peine de stopper que des centaines de gamins, sortis de terre comme des moucherons, assaillent la voiture, grimpent sur les ailes, sur les marchepieds, ouvrent les portières, tripotent les bagages. On se croirait dans un village d'Afrique centrale, et je dois, tandis que mon ami s'occupe de l'avarie, tourner sans cesse autour de la voiture en distribuant d'inoffensifs coups de canne. (p.16) 

Les hôtels et restaurants subissent les mêmes foudres du poète gantois. À Castelvetrano, Maeterlinck fustige l'un et l'autre sans ménagement : 

L'hôtel, le meilleur nous affirme-t-on de toutes parts, est franchement ignoble ; le dîner, servi sur une nappe répugnante, par un sourd-muet empressé, chevelu et crasseux qui, tout le temps, pousse des cris sauvages, est abominable. Et les lits sont tellement suspects que nous n'osons pas nous déshabiller. (p.24) 

À Licata, les trois voyageurs déjeunent "malproprement [...] des inévitables spaghetti, parcimonieusement arrosés d'une sauce tomates de conserve, et de la non moins inévitable tranche de veau coriace et fade, non pas frite mais bouillie dans l'huile rance". 

Et l'on pourrait ainsi multiplier les exemples de désagréments qui tourneraient au comique de répétition s'ils n'avaient pas fait scandale à la sortie du livre. 

Comment, dans ces conditions, profiter des splendeurs et des beautés de la région, et réaliser les "rêves de bonheur" d'un Maeterlinck fantasmant depuis toujours "la Sicile, la terre des idylles de Théocrite", "le paradis du beau temps sans nuages et des plaisirs champêtres", d'autant que les trois voyageurs ont défini un itinéraire digne de ce nom en partant de Palerme et passant par Alcamo, le temple de Ségeste, Castelvetrano, Sélinonte, Sciacca, Girgenti, Sicala, Palazzolo Acreïde et Syracuse, pour terminer à Messine. 

Palerme, "Palermo la Felice !" est la première à souffrir d'une description peu élogieuse. Maeterlinck la présente comme une "cité assez banale, assez vulgaire, grisâtre sous l'ardent soleil, sans caractère, mal tenue, d'une richesse terne et pauvre" (p.11). 

L'"introuvable temple de Ségeste" est quant à lui taxé d'être "un bouledogue prêt à mordre" (p. 21). Les sept temples de Sélinonte et ceux de Girgenti lui semblent tout droit sortis d'une "exposition universelle" : "ils se ressemblent tous [...] ils sont très beaux mais paraissent interchangeables [...] fabriqués en série sur un invariable gabarit" (p. 30). 

Même Thucydide, convoqué à grand renfort de citations tout au long du récit, ne parvient pas à transformer l'enthousiasme du lecteur en émerveillement du voyageur : 

Sicelides Musae ! O Muses de Sicile ! idylles de Théocrite et rêves de Virgile, antres, forêts opaques, pâtres au front bouclé, sources claires, chèvres, brebis, pipeaux et bords mallarméens de calmes marécages, où êtes vous ? (p. 48) 

Pour finir, comme s'il pressentait la vague de réactions indignées qu'allait susciter la parution de son livre, Maeterlinck anticipe et fait amende honorable : 

Mais qu'on ne s'y méprenne point. Il ne s'agit pas du tout, dans ces petites notes, de dénigrer plus ou moins malicieusement notre sainte mère l'Italie ; car elle est un peu notre mère à tous. Nul plus que moi ne l'aime et ne l'admire, et je me souviendrai toujours de l'accueil touchant, généreux et fraternel qu'elle voulut bien me faire lorsqu'en 1914 et en 1915, je vins lui parler des malheurs de la Belgique. Mais n'est-ce pas lui prouver qu'on l'aime véritablement que de lui dire certaines vérités utiles et de ne pas lui cacher puérilement de petites fautes qui gâtent un peu une hospitalité qui serait si facilement délicieuse ? (p. 75) 

On aurait pu, avant cela, se persuader du contraire ! 

 

Partager cet article

Repost0

Commenter cet article