Collection privée d'un amateur de livres et autographes d'écrivains belges (XIXe-XXe siècles)
7 Janvier 2016
Eugène Demolder, "Constantin Meunier", Bruxelles, Deman, 1901. Exemplaire n° 206 avec cartonnage aux armes de la ville de Bruxelles
Dans un précédent article, je vous parlais de l'acquisition d'un exemplaire des Trois Contemporains de l'écrivain et critique d'art belge Eugène Demolder, publié chez Edmond Deman en 1901 et enrichi d'un envoi de l'auteur à l'écrivain autrichien Franz Blei, dans lequel Demolder célébrait le génie des artistes belges Henri de Braekeleer, Constantin Meunier et Félicien Rops. Afin de clore, pour un temps, ce chapitre sur les publications de la librairie Deman présentes dans ma bibliothèque d'amateur, je vous présente aujourd'hui une autre pièce de ma collection, directement liée à la précédente, à laquelle je tiens tout particulièrement car elle m'a été offerte par mon ami libraire Émile van Balberghe, le 26 juillet 2008, à Bruxelles, alors que nous mettions en commun nos recherches sur les rapports entre Eugène Demolder et Léon Bloy (voir les comptes rendus de ses deux dernières publications ici et ici)
Il s'agit de l'étude d'Eugène Demolder sur le peintre-sculpteur bruxellois Constantin Meunier, parue en décembre 1901 chez Edmond Deman. Tiré à 500 exemplaires sur papier vergé, numérotés à la main et paraphés par l'éditeur, cet ouvrage de 32 pages reprend mot pour mot le texte consacré à l'artiste dans Trois Contemporains, paru un mois plus tôt, sans le bandeau de Claire Demolder-Rops, mais considérablement enrichi de 13 reproductions d'oeuvres de Constantin Meunier hors-texte sur double feuillets de papier plus lisse insérés dans les cahiers. La correspondance d'Eugène Demolder à Edmond Deman, conservée au Mount Holyoke College (USA), nous apprend que l'auteur avait pour projet initial de faire paraître également à part, en plus de l'étude sur Meunier, celles sur de Braekeleer et Rops : "En tout cas, il est bien convenu que les 3 contemporains paraissent, puis 6 mois après le Meunier puis 6 mois après le Rops, puis 6 mois après le Braekeleer. Je ne l’entends pas autrement" (Lette d'Eugène Demolder à Edmond Deman, mai 1900). Le projet fut avorté.
Notre exemplaire est le n°206/500, paraphé par l'éditeur Edmond Deman en regard de la page de titre. Il est signalé par Émile van Balberghe, Adrienne et Luc Fontainas dans leur ouvrage de référence sur les Publications de la Librairie Deman (Bruxelles, Archives et Musée de la Littérature, 1999, p. 230) comme appartenant à Émile van Balberghe.
Il est malheureusement amputé de la couverture rempliée en papier feutré gris-vert sur laquelle a été reproduite, dans le coin supérieur gauche, une tête de mineur de profil spécialement croquée par Constantin Meunier pour le volume, comme le rappelle Eugène Demolder dans une lettre à Edmond Deman, datée de février 1897, conservée au Mount Holyoke College (USA) : "En sus, pour l’article Meunier, je vous prêterai une belle tête que Meunier a faite pour cette étude (une tête de mineur) et je vous prêterai aussi le portrait de Meunier par son fils Karl." Nous reproduisons la couverture d'après un autre exemplaire gracieusement prêté par un collectionneur privé.
Couverture en papier feutré gris-vert avec la reproduction d'une tête de mineur de Constantin Meunier
L'ensemble est magnifiquement relié dans un cartonnage recouvert de percaline rouge aux armes de la ville de Bruxelles. Les trois tranches, de tête, de queue et de gouttière, sont aussi de couleur rouge. Le dos, à cinq nerfs, est orné de 5 fleurons dorés, du nom de l'auteur et du titre également dorés.
Aux chapitres des reproductions qui enrichissent l'ouvrage, il n'a pas été prévu de table permettant d'identifier la nature, le titre, l'année d'exécution et la localisation des oeuvres de l'artiste. La correspondance d'Eugène Demolder ne nous aide pas davantage à mettre un nom sur les tableaux et les sculptures en noir et blanc, si ce n'est pour la "tête de mineur" sur la couverture dont on sait qu'elle a été crayonnée spécialement pour l'occasion par Meunier (cf. lettre d'Eugène Demolder à Edmond Deman citée plus haut).
Nous avons ensuite, en regard de la première page de l'étude, la reproduction d'une photographie de Constantin Meunier.
Eugène Demolder proposait initialement dans une lettre à l'éditeur Edmond Edmand de lui fournir le portrait de Constantin Meunier dessiné par son fils Karl, "Constantin Meunier dans son atelier", que nous reproduisons ci-dessous, et qui illustrait un article qu'il avait écrit quelques années auparavant sur l'artiste dans le n° 72 du journal bruxellois Caprice Revue, en 1889.
Or, la photographie de Meunier reproduite en tête de l'étude a été réalisée par les établissements Jean Malvaux, à Bruxelles, comme en témoigne la reproduction ci-dessous, ornementée par le peintre-décorateur belge Adolphe Crespin, dans le numéro du 1er janvier 1899 de la revue bruxelloise La Gerbe consacré à Contantin Meunier.
Portrait de Constantin Meunier par les établissements Jean Malvaux, ornementé par Aldophe Crespin, dans la revue "La Gerbe", 1er janvier 1899
Le premier tableau de Constantin Meunier reproduit dans l'étude de Demolder, en regard de la page 8, est un "Intérieur de charbonnage", imprimé par les établissements Jean Malvaux. Nous n'avons pu localiser cette oeuvre que nous ne connaissons que par sa présence dans le numéro du 1er janvier 1899 de la revue bruxelloise La Gerbe consacré à Contantin Meunier.
Constantin Meunier - "Intérieur de charbonnage" - hors texte en regard de la page 8 - location non identifiée
Le deuxième tableau reproduit par Eugène Demolder, en regard de la page 10, est "Au pays noir" (1893). Il est aujourd'hui dans les collections du Musée d'Orsay. L'auteur l'évoque de manière grave et poétique en ces termes :
Le ciel, jadis vierge au-dessus d'un pays de moissonneurs et de forestiers, est tourmenté par des cheminées énormes, qui se dressent comme des centaines de clochers et de tours aux horizons : elles crachent des flammes ou vomissent des flots de fumée, à travers lesquels le soleil paraît souvent ténébreux. Toute la province devint pareille à une immense forge de géants, brûlée aux foudres d'un travail dantesque. Sur des fonds désolés, des laminoirs découpent leurs ossatures apocalyptiques, des charbonnages profilent leurs spectres, immenses et bizarres. Du paysage, embrasé par les fournaises, s'élèvent les « terris », aux schistes métalliques, formés, dirait-on, par la lave d'un Vésuve ; plus loin, une chaudière gigantesque, un gazomètre s'élèvent, tels des donjons, et sur un escarpement, de cette région minée et bosselée, un « coron» cramponne ses maisonnettes couvertes de tuiles rouges, lavées de chaux, bleue ou jaunâtre, et salies par les suies qui planent dans l'atmosphère. Des verreries s'allument ; des hauts-fourneaux, des laminoirs forment des cités d'usines — comme des succursales de l'enfer, comme des géhennes modernes, dans l'épouvante tumultueuse et trépidante de ce vaste pays industriel.
Eugène Demolder, Constantin Meunier, extrait, p. 11-12.
Constantin Meunier, "Au pays noir", huile sur toile, 1893 - Reproduction en noir et blanc pour cette édition - Localisation : Paris, Musée d'Orsay
Viennent ensuite quelques reproductions, toujours en noir et blanc, de sculptures de l'artiste : la statuette en bronze intitulée "La douleur" (1888), étude pour "Le Grisou", en regard de la page 12, dont on trouve plusieurs copies au Musée d'Art et d'Industrie André Diligent, à Roubaix, La Piscine, ou encore aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, à Bruxelles. La photographie a été imprimée par les établissements Jean Malvaux et on la trouve également reproduite dans le numéro du 1er janvier 1899 de la revue bruxelloise La Gerbe consacré à Contantin Meunier.
Constantin Meunier, "La Douleur", statuette en bronze, 1888 - Localisation : Roubaix, La Piscine, musée d'Art et d'Industrie André Diligent / Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique
La statuette en bronze du "Mineur à la hache" (1888) en regard de la page 14, que l'on peut admirer aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles. La photographie a été imprimée par les établissements Jean Malvaux et on la trouve également reproduite dans le numéro du 1er janvier 1899 de la revue bruxelloise La Gerbe consacré à Contantin Meunier.
Constantin Meunier, "Mineur à la hache", statuette en bronze, 1888 - Localisation : Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique
La statuette en bronze du "Carrier" (1896), en regard de la page 16, conservée aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, à Bruxelles.
Constantin Meunier, "Le Carrier", statuette en bronze, 1896 - Localisation : Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique
Le bronze du "Pécheur à Ostende" ou "Pêcheur boulonnais" (1890), en regard de la page 18, conservé aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, à Bruxelles. La photographie a été imprimée par les établissements Jean Malvaux et on la trouve également reproduite dans le numéro du 1er janvier 1899 de la revue bruxelloise La Gerbe consacré à Contantin Meunier.
Constantin Meunier, "Pêcheur à Ostende" ou "Pêcheur boulonnais", bronze, 1890 - Localisation : Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique
Le bronze du "Marteleur au repos" ou "Mineur accroupi" (vers 1890), en regard de la page 20, pour lequel nous n'avons pas trouvé de localisation précise. La photographie a été imprimée par les établissements Jean Malvaux et on la trouve également reproduite dans le numéro du 1er janvier 1899 de la revue bruxelloise La Gerbe consacré à Contantin Meunier.
Le buste en bronze de la "Femme du peuple" (1893), en regard de la page 22, conservé aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, à Bruxelles. La photographie a été imprimée par les établissements Jean Malvaux et on la trouve également reproduite dans le numéro du 1er janvier 1899 de la revue bruxelloise La Gerbe consacré à Contant Meunier.
Le bronze du "Retour des mineurs" (v.1895-1896), en regard de la page 24, qui serait conservé à Berlin, au Musée d'État (Berlin, Staatliche Museen zu Berlin). La photographie a été imprimée par les établissements Jean Malvaux et on la trouve également reproduite dans le numéro du 1er janvier 1899 de la revue bruxelloise La Gerbe consacré à Contant Meunier.
Constantin Meunier, "Le retour des mineurs", bronze, 1895-1896 - Localisation : Berlin, Staatliche Museen zu Berlin
Le bronze des "Puddleurs sortant la loupe" ou "Puddleurs au four" (1893), en regard de la page 26, conservés au Musée d'Orsay, à Paris, mais aussi à Bruxelles, aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique. La photographie a été imprimée par les établissements Jean Malvaux et on la trouve également reproduite dans le numéro du 1er janvier 1899 de la revue bruxelloise La Gerbe consacré à Contant Meunier.
Constantin Meunier, "Les Puddleurs au four" ou "Les Puddleurs sortant la loupe", bas-relief, bronze, 1893 - Localisation : Paris, Musée d'Orsay / Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique
Le haut-relief en bronze intitulé "Les travailleurs de la mer" (1898), en regard de la page 28, conservé aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, à Bruxelles. La photographie a été imprimée par les établissements Jean Malvaux et on la trouve également reproduite dans le numéro du 1er janvier 1899 de la revue bruxelloise La Gerbe consacré à Contant Meunier.
Constantin Meunier, "Les travailleurs de la mer", haut-relief, bronze, 1898 - Localisation : Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique
Et enfin, le haut-relief en bronze de "La glèbe", en regard de la page 30, dont on connait plusieurs états conservés à Paris, au Musée d'Orsay, et à Bruxelles, aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique.
Constantin Meunier, "La glèbe", haut-relief, bronze, 1892 - Localisation : Paris, Musée d'Orsay / Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique
Je terminerai en ajoutant que contrairement aux Trois Contemporains, l'étude sur Constantin Meunier a fait l'objet d'une traduction en allemand par Hedwig Neter-Lorsch, en 1902, aux éditions J.H.E. Heitz (Strassburg), dans la collection "Ueber Kunst der Neuzeit" dont elle est le 8e volume. J'en profite pour remercier chaleureusement la librairie ancienne Klikspaan, à Leyde, aux Pays-Bas, d'avoir bien voulu m'adresser la photographie ci-dessous et la confirmation que cette publication est exempte de toute reproduction des oeuvres de Constantin Meunier. Le meilleur moyen de les remercier ne serait-il pas d'ailleurs de faire l'acquisition de cet exemplaire pour ma bibliothèque ? Dans un futur proche, sans aucun doute !
Eugène Demolder, "Constantin Meunier : studie", traduction allemande par Hedwig Neter-Lorsch, Strassburg, J.H.E. Heitz, 1902, 31 p.
Merci d'avoir lu jusqu'ici et à bientôt pour un nouvel article!
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